
Gouvernance familiale franco-suisse
Aperçu des piliers d’une bonne gouvernance
Contexte
Charte familiale
Pacte d'actionnaires
Régimes matrimoniaux, libéralités et planification
Société holding
Family-Buy-Out
Ouverture capitalistique
Tant en Suisse qu’en France, le tissu économique est constitué de PME/ETI dont une très grande partie sont des entreprises familiales. En pratique, deux tiers de ces dernières n’a pas préparé sa transmission.
Après avoir analysé dans quelle mesure une transmission intrafamiliale est réalisable sur différents plans, en particulier en tenant compte du souhait des enfants, il est conseillé au chef d’entreprise d’impliquer progressivement les membres de sa famille dans l’entreprise, son actionnariat, sa gestion et sa direction, ce qui facilitera une bonne transmission et donc la pérennité de son « œuvre ».
Si en Suisse les droits de donation et de succession – dont la fixation relève des cantons – sont inexistants, voire très faibles, en France le barème des DMTG (droits de mutation à titre gratuit) reste élevé et lorsque la transmission intrafamiliale de l’entreprise n’est pas anticipée cela peut avoir pour conséquence de mettre en péril l’entreprise.
Un certain nombre de mécanismes permettent de réduire, même drastiquement, la pression fiscale inhérente à une transmission entre vifs, par donation, ou à cause de mort, par succession, tel le pacte Dutreil.
Naturellement, gouvernance familiale et transmission sont intiment liées puisque l’objectif sous-jacent est le même à savoir la continuité de l’entreprise.
Les membres de la famille du chef d’entreprise devront donc utiliser et mettre en place différents dispositifs sur le plan civil, corporate et fiscal pour assurer une bonne gouvernance de l’entreprise qui influera positivement ses performances et sa pérennité. On relèvera qu’une entreprise familiale implique deux niveaux de gouvernance : l’une « familiale » à travers l’actionnariat et l’autre « d’entreprise » passant par la direction de celle-ci, respectivement sa surveillance. Cela étant, en pratique qui dit famille et entreprise dit potentiellement blocage. Alors comment gérer les conflits ? Comment intégrer les générations futures ? Comment bien transmettre ?
Quel que soit la taille de l’entreprise, une gouvernance familiale solide passe par une bonne structuration de l’actionnariat, de la gestion et de la direction où chacun des membres de la famille doit trouver sa place. Ces derniers définiront donc une charte familiale, écrit signé par les membres concernés, qui aura une valeur morale et posera les principes de l’affectio familiae, déterminant notamment les objectifs financiers, la politique en matière d’investissement, de dividendes, les conditions d’accès au capital et aux postes clefs de l’entreprise.
Des institutions comme le conseil de famille ont le mérite de permettre l’alignement entre la famille et l’entreprise, chose qui n’est pas toujours évidente mais nécessaire en particulier lorsqu’une personne extérieure assume une fonction de direction. Un tel conseil de famille inclura donc toutes les générations impliquées dans l’entreprise et aura ainsi dans l’idéal un membre indépendant.
Une répartition du capital de l’entreprise de 2/3 – 1/3 entre la génération proche de la retraite et la jeune génération peut se présenter comme un cadre offrant de bonnes perspectives en matière de gouvernance familiale, les membres de la famille plus âgés continuant d’assumer les fonctions au conseil d’administration ou de surveillance avec une sortie progressive du capital.
Être membre de la même famille et de la même entreprise est de nature à poser des problématiques en pratique sur différents sujets. Si des statuts bien rédigés jouent un rôle certain, ils ne prévoient généralement pas toutes les situations envisageables. Dès lors, la conclusion d’un pacte d’actionnaires – non publié à la différence des statuts – est une nécessité dans la mesure où il traitera des rapports entre « associés » majoritaires et minoritaires, non seulement membres de la même famille, et partant des droits de vote, majorités, quorums ou encore de l’agrément d’un nouvel associé, de l’anti-dilution, de la cessibilité des parts, des modalités de sortie en particulier de valorisation des titres, de rachat par la société de ces derniers.
Un tel instrument s’il est bien rédigé et en phase avec la philosophie familiale est un des fondamentaux d’une bonne gouvernance et permettra d’éviter bien des conflits.
Anticiper les conséquences d’un divorce ou d’un décès d’un membre de la famille impliqué dans la direction et actionnaire de l’entreprise est impératif. Le choix d’un régime matrimonial adapté respectivement une modification/adaptation de ce dernier constituent la base pour le chef d’entreprise. Ainsi, prévoir sur le plan matrimonial une clause d’exclusion de communauté ou en matière de donation un droit de retour conventionnel lorsque le régime matrimonial des époux relève du droit français permettront d’anticiper ces cas.
Pour limiter la pression fiscale côté français, la mise en place d’un Pacte Dutreil est une solution intéressante étant précisé qu’il peut également porter sur des titres d’une société étrangère, par exemple suisse. Il doit néanmoins s’agir d’une société opérationnelle voire d’une holding animatrice. Un tel pacte permettra de réduire l’assiette taxable - à savoir un abattement de 75% de la valeur de l’entreprise - outre une division par moitié des DMTG dus en présence d’une donation en pleine propriété dont le donateur est âgé de moins de 70 ans. La question du régime matrimonial du chef d’entreprise donateur est ici également importante, puisque si les titres de l’entreprise sont communs, le donataire bénéficiera du double abattement en ligne directe de € 100'000.- outre la réduction de 50% des droits précités.
Pour résumer ce dispositif Dutreil, il implique un engagement collectif de conservation minimum de 2 ans du chef d’entreprise donateur - et d’au moins un de ces associés - portant sur a minima 17% des droits financiers et 34% des droits de vote d’une société non cotée. La transmission au(x) donataire(s) doit intervenir durant ledit engagement collectif de conservation et au terme de ce délai chacun des donataires doit prendre un engagement individuel de conservation des titres transmis pour une durée de 4 ans. L’un de ces derniers devra exercer une fonction de direction dans la société concernée durant une période de 3 ans à compter de la transmission. Dans le cadre de ce dispositif, diverses obligations déclaratives récurrentes doivent être effectuées pour continuer d’en bénéficier.
Aussi, des institutions comme la donation-partage – y compris transgénérationnelle – des parts de sociétés peuvent être envisagées selon les situations. Il conviendra de toujours prévoir une clause d’inaliénabilité des titres afin d’éviter que les « jeunes » donataires ne se dessaisissent desdits titres contrairement à la volonté du chef d’entreprise.
En Suisse, la conclusion d’un pacte successoral d’attribution concomitant à celui de renonciation conclu d’une part avec l’héritier présomptif renonçant et d’autre part avec celui qui reprendra la société permet au chef d’entreprise de planifier sa succession, étant rappelé que l’augmentation de la quotité disponible à la moitié des actifs de la succession – depuis le 1er janvier 2023 – permet de réduire les risques d’atteinte à la réserve héréditaire entre descendants.
En substance la transmission de l’entreprise familiale ne peut s’entendre sans une planification adaptée et anticipée du vivant du chef d’entreprise en prenant en compte tous les facteurs déterminants.
La détention des titres de l’entreprise familiale par les enfants peut intervenir en direct ou par le biais d’une holding. L’intérêt d’une holding peut résider dans la fiscalisation des dividendes qui en France (avec le régime mère-fille et celui de l’intégration fiscale) comme en Suisse (avec la réduction pour participations) permet de réduire leur taxation et d’éviter une imposition sur le revenu de l’actionnaire tant que les dividendes ne lui sont pas in fine distribués, intéressant dans une logique de réinvestissement. Une holding permet aussi et surtout un contrôle de la société opérationnelle et une répartition des titres entre les membres de la famille, le cas échant progressive et des pouvoirs/droits de vote.
Aussi, les descendants du chef d’entreprise peuvent constituer une holding afin d’y apporter et d’y détenir les parts de la société opérationnelle faisant l’objet d’une donation en démembrement en vertu de laquelle le chef d’entreprise en conservera l’usufruit, lui permettant de continuer de percevoir les dividendes tout en ayant progressivement transmis son entreprise et en s’acquittant en France de DMTG réduits. A noter que lorsqu’une holding détient la nue-propriété des titres de la société opérationnelle, l’abandon de l’usufruit par l’usufruiter sera taxable (DMTG) comme donation indirect au taux de 60% (non-parents), quand bien même les descendants de l’usufruitier – nus-propriétaires – seraient actionnaires de la holding.
C’est surtout dans le cadre d’un FBO que le recours à une holding a tout son sens car il permettra dans le cadre d’une vente des titres de l’entreprise familiale à l’un ou plusieurs de ses descendants constituant une holding de profiter de l’effet de levier fiscal et financier. En effet, postérieurement à une donation-partage d’une partie des titres en présence de tous les héritiers réservataires, l’héritier gratifié des titres devra reverser une soulte aux cohéritiers. A cet effet, il constituera une holding dont la finalité sera de se voir apporter les titres reçus, de régler la soulte due et de financer l’acquisition des titres résiduels. In fine, l’héritier gratifié détiendra par le biais de sa holding 100 % de la société familiale dont le remboursement du financement des titres résiduels sera assuré par les dividendes revenant à la holding, outre la déduction des intérêts correspondants, alors que le donateur et les cohéritiers auront reçu des liquidités.
Il sera encore mentionné que les titres de l’entreprise familiale objet d’un pacte Dutreil peuvent être apportés à une holding dans le cadre d’un FBO sans être remis en cause en respectant toutefois certaines conditions.
L’ouverture capitalistique se traduit généralement pour le chef d’entreprise respectivement la famille par une perte de contrôle voire une ingérence pouvant impacter la cohésion familiale si tant est qu’elle soit bonne.
Toute opération d’ouverture capitalistique doit être murement réfléchie et planifiée en détail afin qu’elle ne conduise pas à la dilution voire l’éviction de l’actionnariat familial. Si tel est l’ambition de la famille, l’opération devra nécessairement impliquer une négociation stratégique de l’opération et en particulier du pacte d’actionnaire en place.
La présence d’un membre du conseil d’administration extérieur au cercle familial est une solution permettant en général à celui-ci d’agir comme médiateur entre les branches de la famille tout en modérant les risques que l’entreprise s’enracine à tous les niveaux.